"Expérimenter le leadership partagé et les rencontres en pleine nature"

Publié le par La migration des oies sauvages 2011

 

Ces quatre jours de migration passés font écho avec quelques uns de mes questionnements sur comment je participe à la vie et à l’atmosphère d’un groupe et comment je rencontre l’autre, autrement dit comment nous nous rencontrons.

Par mes manières d’être dans le groupe, je participe à former, influencer, infléchir les événements qui s’y vivent ? Qu’elles sont ces manières, comment j’éprouve, je m’avance et m’ajuste avec ce monde. Et avec ce thème-projet de leadership partagé, qu’est ce qui se joue pour moi et comment cela joue vis à vis de la position de leader, celui qui ici pour moi donne la direction et en répond devant les autres. J’ai porté particulièrement mon attention et ma conscience sur ces moments d’engagement et de décision qui ont émaillé les quatre jours, j’y vais ou j’y vais pas, je me retiens ou me risque.

Et qu’est ce qui a permis à notre groupe de tenir à peu près ensemble et à moi de rester présent quatre jours.

Arrivant

J’arrive avec la curiosité. La curiosité, c’est pour moi promesse de surprises, j’aime éprouver l’émotion de la surprise, elle est jouissance et me pousse en avant de l’anxiété pouvant poindre. Je viens à cette migration avec la volonté liée au thème; « rencontrer ». Rencontrer ; cela évoque la forme de thérapie que j’ai choisie en tant que gestalt- thérapeute, « thérapie de la rencontre ». Dans cette expérimentation hors d’un cadre thérapeutique, y-aura-t-il de quoi enrichir ma pratique, enrichir ma posture vis à vis d’un groupe et même, les rencontres seront-elles transformatrices, peut-être ? Je l’espère. j 145r

Rencontrer

Rencontrer. Dans ces circonstances de migration, rencontrer, cela a pris pour moi des formes variées. J’ai été présent physiquement et dans les interactions qui se présentaient, je ne me suis pas ou peu isolé. J’ai tenté de jouer ma partition dans le groupe et les situations, m’interrogeant dans les moments de retrait, j’ai pu déposer et échanger des paroles en cercle ou deux à deux, j’ai touché et me suis laissé touché physiquement et émotionnellement, j’ai regardé et me suis laissé regarder, j’ai partagé des repas, fait des projets, j’ai parfois osé plus que de coutume poser un acte ou une parole, j’ai choisi d’interpeler ou pas, choisi d’agir ou pas, de dire mon expérience et révéler de moi. Tout cela, non comme dans la quotidienneté, mais, dans cette situation exceptionnelle qu’est la migration 2011, engagé dans chaque affaire et sans craindre l’intensité des situations (le fait d’être entre gestaltistes est facilitant pour moi), et si possible, c’est le sentiment que j’ai eu, dans une conscience s’accroissant (aware devenant concious) par moi-même ou en étant témoin de ce qui se passait dans de groupe, actes et paroles.

Il me vient

Vis-à-vis du groupe, émerge l’idée d’un possible « ex-sister ensemble», qui ferait que les situations qui se déploient durant les quatre jours prennent des formes d’ouvertures co-créées et ajustées aux circonstances, au fil du temps, « sur la pointe du temps », se retenant, questionnant, éprouvant des automatismes prématurés organisateurs d’un groupe[1], un être-ensemble.

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D’autres remarques subjectives.

Exercer le leadership, prises de décision du groupe

Les modes de prise de décision ont été variées et circonstanciées. Etonnamment pour moi, le système démocratique explicite n’a pas été choisi d’emblée. Parfois, celui qui s’est avancé pour infléchir à son idée la situation, a semblé s’approprier temporairement le leadership et l’exerçait en donnant une orientation (une direction de sens). Il ne s’agit pas d’une posture figée (pré-déterminée) de leader, mais d’exercice momentané, émergeant et circonstancié du leadership. Dans ces postures, chacun (projection) a pu ou pas se sentir soutenu par les mouvements d’approbation, de désapprobation, de non détermination de l’assemblée. Soutenu aussi par l’attention et la détermination des organisateurs à ne pas s’imposer comme leader, cet espace est laissé libre à disposition. Soutenu aussi je crois, par le fait que personne n’a semblé avoir cette ambition d’être le chef et de l’imposer. La place est plus souvent restée vierge, qu’occupée – crise de direction de sens !

Des sortes de votes formels (pouces levés ou abaissés, les oui, non…) ou informels sont progressivement apparus et s’exerçaient de temps en temps. Mon impression est que plus le temps a passé, plus chacun exerçait son leadership momentané (projection ?) et les prises de décision/approbation/appropriation, aliénation/rejet/opposition sont devenues progressivement plus explicites et fluides.

Une forme originale de manières de vivre ensemble notre société est apparue, je dirais que le modèle Grec d’assemblée, de vote, de démocratie, de représentants, ou celui plus archaïque de chef de guerre, n’ont pas été reproduits.

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Lieu de parole et rétroflexion

Cela m’a donné à vivre en conscience (conscience évolutive ; aware devenant concious), certains des phénomènes (notamment je prends part ou je ne prends pas part à une proposition ou une action, je parle ou pas, je soutiens ou m’oppose…), dans la mesure où ils ont été éclairés par ma propre attention et mon propre éveil aux phénomènes, mais aussi et surtout par la possibilité toujours ouverte de poser ma parole parmi les autres, d’échanger dans l’espace commun du cercle de parole.

D’autres paroles sont restées dans l’ombre, à peine conscientisées, pas exprimées, restant dans un fond indifférencié. Là, je dis pour ce qui me concerne où j’ai pu remarquer mes manières d’engager ou de retenir mes paroles ou de participer à un mode de rétroflexion. J’ai l’impression, avec le temps qui a passé, d’avoir pu de manière progressivement fluide, posé ma parole et mes actes, tout en gardant (imperfection oblige) quelques zones insensibles, non-dites, non-agir.

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Sentir, dire, agir

D’ailleurs, le dire et le sentir m’ont semblé être les manières principales de notre ‘être ensemble quatre jours’ – pour moi, pas assez ou manque de corps, de corps-ensemble, de mouvement, d’occupation de l’espace naturel (je l’ai vécu en cette signification). Cette dominance, l’agir et le corps en retrait, a pu prendre les formes pour moi et peut-être pour d’autres (hypothèses), de moments d’agacements, d’un y-en-a-marre-de-palabrer, d’un ennui, d’une démobilisation, d’un qu’est-ce-que je fais là… Quand je me suis avancé, c’est pour proposer sans l’expliciter clairement des activités engageant plus majoritairement le corps (jets de pierre, cri, dégustation de chocolat) et à approuver les propositions corporelles, migrer dans la clairière en formation de vol, apprécier avec enthousiasme la danse des mains, etc.

J’ai vécu « ce pas assez de », à partir de sensations, sous forme personnellement signifiée d’un manque. Si je pose une frontière à la multitude des vécus possibles pour m’aider à penser la situation, je dirai qu’agir-ensemble peut-être le résultat d’une signification prématurée, voir une passivité d’un sentir insuffisamment énergétisé, une forme de passage à l’acte. Cela peut être aussi un prolongement enrichissant, un déploiement en d’autres manières d’une situation. C’est la même chose en acte, mais l’un endort la situation qui pourrait de réveiller, l’autre dépasse et rend disponible pour autre chose.

Corps de la planète

 

Le corps de la planète était là lui aussi, omniprésent, incarné en cette clairière où nous étions installés. J’avais très envie de rencontrer cet espace de nature. L’idée du land-art a été super pour cela, et j’ai adoré co-penser et co-écrire avec Marie un ‘Poème sous l’arbre’ pour dire mon amitié à cette présence de l’a.r.b.r.e (juste avant de nommer l’objet). J’ai adoré goûter à la douceur de la présence de ma collègue dans notre faire-ensemble. J’ai aimé sortir des limites imposées par le cadre, en passant en zone interdite, par-delà les barrières au fond de la clairière, pour y montrer-découvrir ‘Ceci n’est pas un cadre’.

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Eprouver la crise du « être ensemble quatre jours »

Cadre : à part cette proposition de voyager ensemble quatre jours dans l’attention du leadership partagé et de rencontres, il y avait peu de cadre explicite, peu de règles de vivre ensemble, en rapport à mes expériences usuelles la situation était originale et particulière par ces aspects.

Crises : peut être les situations qui m’ont le plus touchées sont celles de ne pas chercher à résoudre immédiatement les crises qui se présentaient. Crise de « ne pas pouvoir » ou de « ne pas vouloir » signifier (en conscience) par un acte, une direction de sens, une émotion… ne pas faire prématurément (d’ailleurs, il est « en vue de quoi » ce « ne pas faire » ? – serait-ce en vue d’un « être ensemble » ? Se rencontrer n’est-ce pas aussi faire ensemble et pas seulement être ensemble ! La crise prenant forme du temps qui va se structurer (signifier) et moins seulement passer (indifférentié), à propos des pauses ou du quoi « faire ensemble ».

Rester à cet endroit, éprouver : en donnant la possibilité de rester suffisamment à cet endroit, dans l’attente, j’ai pu éprouver ce mouvement de cet espace ‘en cours de décision’, de retrait ou d’engagement, de m’avancer, d’hésiter, j’y vais, j’y vais pas. C’est rare de pouvoir expérimenter suffisamment et en conscience ces situations.

Attentes douloureuses : ces moments pourraient être douloureux à qui a un projet non ajustable défini à l’avance, ou à qui est empressé d’agir (hypothèses). Ils peuvent susciter du malaise, de l’anxiété. Cette dernière s’est montrée semble-t-il par des maux de tête, de l’ennui, de la fatigue, de l’envie de quitter, du retrait, de la passivité, du manque de direction d’agir, des humeurs, des départs ou des envies de départs… Pour ma part, partir ne m’est pas venu à l’esprit, aidé par la curiosité en éveil, il m’est plutôt venu de l’attentisme.

Un univers protégé ; conditions de laboratoire

Tout cela a eu lieu dans des conditions de laboratoire limitant les difficultés et le décodage des situations. Peu d’objectif de production, sinon passer du temps ensemble à éprouver, parler sur,  regarder comment s’opèrent le leadership partagé et les rencontres, peu de contingence matérielle, de l’organisation réglée autour des repas, peu de responsabilité à prendre, sinon celle du temps passé ensemble, pas d’enfant, pas de souci matériel, peu de problème de sécurité, de revenu, de travail, peu de querelles explicites d’idées ou de conceptions de la gestalt-thérapie, de quête sexuelle, de rapports de compétition, de domination (en précisant que je parle pour moi).

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Ce qui me revient quelques jours après

Une sorte de sympathie pour tous individuellement et pour le groupe que nous avons formé, ancrée dans le partage d’expérience, pas une sympathie légère lié à l’atmosphère, mais ancrée par les moments passés ensemble.

Particulièrement pour Pascal, son soutien, son attention, son originalité… la danse des mains. Rencontre avec Marie dans la co-création de notre land-art, avec une question ; Marie : t’ai-je bien laissé suffisamment de place dans notre co-création. Rencontres en d’autres manières avec  Bianca, Stéphanie, Gilles, Cathia, Philippe, Sylvie, Luc et sa famille, Renaud, rencontres émaillées de quelques rétroflexions avec Priscille, Béatrice ou d’autres, de distance avec D, avec le désir d’un futur moins en creux… Rencontres transformatrices ?

La décision subite, comme un insight, de m’avancer dorénavant dans les communautés de manière plus ferme, rapide et  claire. Bizarrerie d’un choix de vie faisant forme de la migration, pris à l’occasion déclenchante de la manière de Gilles de répondre clairement à une question anodine à propos de la prochaine migration.

Le peu d’envie de passer du temps à éclairer le départ de Sylvie et Philippe. Envie de mettre de l’énergie ailleurs avec la peine de n’avoir pu rencontrer davantage.

L’idée que l’organisation et la structuration du temps sont un reflet de ces phénomènes d’être ensemble, par l’expérience alors que c’était jusque là des idées.

Le projet de participer à la prochaine migration.

Jean-Olivier - Juillet-août 2011



[1] Automatisme de hiérarchie, d’organisation du temps, de responsabilité, rendre-compte, légiférer, objectifs d’un groupe, organisation de l’espace…

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